Qui ne s'est pas exclamé une fois dans sa vie "c'est injuste !" ?
La notion de justice est une création humaine. Dans la nature, la justice n'existe pas. Certains animaux se font manger par d'autres, certaines personnes meurent sans raison, certaines régions du monde sont ravagés par des cyclones. Ces animaux, ces personnes, ces régions n'ont rien à se reprocher. L'être humain a créé la justice pour mettre de l'ordre, pour faciliter la vie en commun. Chaque acte repose sur la responsabilité de celui qui agit. Si cet acte est bon pour la société alors son auteur est récompensé, si il est mauvais pour la société, il est répréhensible et entraine une punition ou une sanction. La punition et la sanction sont proportionnelles à la gravité de l'acte, de même que la récompense est proportionnelle au bienfait engendré par l'acte. Il est évident que suivant les époques et les culturels, les actes considérés comme répréhensibles ou bons ne sont pas les mêmes, ils ne revêtent pas le même caractère de gravité. La justice consiste à appliquer au mieux les récompenses et les sanctions, à discerner au mieux le bien et le mal. Pour légitimer cette notion de justice, les êtres humains ont pu invoquer des raisons divines : ainsi, le premier juge, pour cette culture est Dieu lui-même qui est celui qui enonce les Lois, juge les pécheurs et distribue sanctions et récompenses sous forme de maladie, catastrophes naturelles, mort, ou au contraire, miracle, vie éternelle et heureuse au paradis. Pour d'autres, la notion de justice est la seule qui permette de vivre en communauté. Au siècle des Lumière en France apparaît l'idée d'un contrat social qui repose sur des règles choisies et acceptées par tous pour le bien-être de chacun. La justice est la condition première pour ne passer de l'état de nature (la raison du plus fort), à l'état de droit.
Nous sommes tellement baignés dans cette culture de la justice que nous en venons à oublier qu'elle n'est valable que dans le cadre social de notre vie. Les êtres humains sont égaux... en droit ! mais pas en tant qu'être vivant. Il faut retrouver et accepter cette réalité pour pouvoir être serein. Sinon, nous sommes condamnés à nous sentir sans cesse bafoués, frustrés, lésés.
Est-il raisonnable de trouver injuste d'être petit, grand, gros, ou laid ? Notre apparence physique peut-elle raisonnablement être considérés comme une sanction ou une récompense quelconque ? Vu ainsi, la question parait ridicule et la réponse évidente. Et pourtant, un bon nombre de personnes trouve injuste que leur voisin soit maigre en mangeant n'importe quoi alors qu'elles-memes ne perdent pas un gramme en faisant une multitude de régimes drastiques. Le sentiment de justice accompagne presque toujours l'envie ou la jalousie. On justifie ces sentiments négatifs en disant "c'est injuste qu'il soit musclés et moi laid ! Pourquoi lui et pas moi ? J'ai pourtant fait des efforts, je devrais en être récompensé !". Plutôt que de se comparer aux autres et de nourir des sentiments négatifs comme l'envie et la jalousie, abandonnons la fausse excuse de la jalousie et concentrons-nous sur nous-même.
Est-il raisonnable d'en vouloir à notre conjoint de ne plus nous aimer et de vouloir vivre autre chose, avec quelqu'un d'autre ? Non, bien sur. L'amour est un sentiment qui ne se commande pas. Et pourtant, combien de personnes disent "c'est injuste ! j'ai tout donné pour lui/elle, je me suis sacrifié, j'ai donné mes meilleures années, je lui ai donné tout mon amour". Toutes ces bonnes actions sont surement des arguments valables pour obtenir une place au paradis, mais elles n'engagent en rien l'autre à devoir vous aimer en récompense. L'amour est quelque chose que l'on offre gratuitement, ce n'est pas une monnaie d'échange. Si vous pensez vous sacrifier pour l'amour de l'autre, cette amour n'est nullement constructif mais il est un sentiment négatif qui vous ronge. N'allez pas ensuite en accusez l'autre pour trouver un coupable sous pretexte d'injustice.
Dans le même ordre d'idée, il est inutile de quantifier vos échanges avec les autres. Les phrases du type "c'est injuste, je t'aime plus que toi tu ne m'aimes" ou "C'est injuste, vu comme je t'aime, tu pourrais faire un effort pour..." sont des chantages et des jeux psychologiques néfastes qui ne peuvent engendrer que des situations négatives. De manière générale, il faut éviter de quantifier ses actions en terme de monnaie d'échange. Si vous agissez bien envers une personne, attendre qu'elle vous rende la pareille "à la même hauteur" est complètement illusoire et néfaste. A l'inverse, vous sentir obliger de faire plaisir à quelqu'un ou de rendre service de façon à "être quitte" n'est pas très satisfaisant.
Cette notion d'injustice nous permet également d'essayer de préserver notre valeur personnelle. Mais à quel prix ! Nous faisons souvent l'erreur de croire que nous sommes récompensé ou puni en fonction de notre valeur personnelle. En généralisant le système de récompense/punition pour les bonnes/mauvaises actions, nous en arrivons à croire que si nous sommes quelqu'un de bien, nous serons récompensé et que si nous sommes mauvais nous seront punis. Cela aboutit à des phrases du type "C'est injuste ! Je méritais ce poste, j'ai été embauché bien avant lui !" ou encore "C'est injuste qu'il ait été selectionné pour le rôle, j'ai beaucoup plus travaillé que lui !". En réalité, notre valeur personnelle n'a strictement rien à voir avec les événements qui nous arrivent. Beaucoup de personnes très mal intentionnés, ou très incompétentes s'en sortent aussi bien que des personnes doués des meilleures qualités du monde. La justice n'a rien à voir là-dedans, c'est la vie. Pour vivre heureux, cessez de vous comparer aux autres, et d'invoquer la justice dès que votre comparaison est mise en défaut.
Une autre source majeure de malheur lié à l'injustice est notre rapport à la mort et à la maladie. A force de vouloir contrôler notre rapport à la nature, nous en oublions qu'elle est complètement extérieure à notre notion de justice. Il est très certainement douloureux de perdre une personne chère dans un accident, d'être atteint d'une maladie rare ou très grave, de perdre sa maison dans une inondation, d'avoir un enfant atteint d'un hadicap, mais toutes ces situations sont un fait de nature. Ce ne sont pas des punitions pour une queconque attitude de notre part. La mort, la maladie sont liés au vivant de façon indiscernable et il faut les accepter comme tel. Bien sur, il est normal d'être triste, malheureux, abbatu et déprimé dans ses moment-là. Mais se rebeller contre la nature, chercher un coupable à tout prix, refuser la réalité ne fait que prolonger ce moment douloureux.
